YAOURTS BIO DE LA VALLÉE DE CHEVREUSE
6 heures ont sonné et personne ne s'agite encore sur la ferme des Godets. Ici, on laisse au soleil le temps de se lever le premier. Question de politesse ! De bien-être, aussi ! Pourquoi se mouvoir dès l'aurore lorsqu'on peut jouir de la joie de conduire ses enfants à l'école avant de débuter sa journée de travail ?
Et si le métier d'agriculteur permettait une vie sereine, avec des horaires raisonnables, un revenu correct et une démarche de durabilité ?
Tel est le pari d'Audrey Bourolleau, la fondatrice du Campus Agricole HECTAR et de la Laiterie pilote des Godets : former de nouveaux acteurs de l'agriculture, avec un projet socialement juste, écologiquement durable, et économiquement viable, qui puisse attirer de jeunes agriculteurs entrepreneurs.
Mais tout cela, il s'agit de le découvrir par les pieds. Le soleil pointe derrière la colline boisée de feuillus vert sombre. Une brume humide caresse encore le doux relief de la vallée de Chevreuse, au cœur du parc naturel régional dans les Yvelines. Deux jeunes femmes montent la prairie humide. Têtes bien faites et bien pleines, la passion en bandoulière, Julie Renoux et Bérénice Giot sont parties observer leurs vaches et déplacer la pâture.
Leurs bovins vivent en plein air toute l'année sur 60 hectares divisés en parcelles.
Leurs bovins vivent en plein air toute l'année sur 60 hectares divisés en parcelles circonscrites de fils mobiles. Grâce à un herbomètre permettant de mesurer la disponibilité fourragère des pâtures, à des colliers-capteurs portés par les vaches pour indiquer leur activité, grâce enfin à l'observation de la dimension de l'herbe, Bérénice sait quand il est temps de leur ouvrir de nouveaux espaces.
Elle entraîne alors le troupeau avec elle dans un autre paddock à l'herbe plantureuse, de 7 variétés capables de proliférer en toute saison et de répondre aux besoins alimentaires des ruminants. L'herbe est grasse, on voit poindre, parmi les trèfles, le lotier et le raigras, quelques pissenlits, amis sauvages des prairies.
Curieuses, paisibles, les ruminantes s'approchent. "Ça va Doudou ?" interpelle Bérénice. C'est le surnom affectueux qu'elle leur donne, même si elle connaît chaque bête par son véritable nom.
Malgré ses 25 ans flamboyants, la jeune éleveuse vit la consécration de 17 longues années de passion. À 8 ans, en vacances dans une ferme des montagnes jurassiennes, elle se fait charger par une vache de leur hôte. Ce dernier, habitué à prendre le taureau par les cornes, conduit la jeune apeurée auprès de son agresseuse. Entre Bérénice et la vache c'est le coup de foudre ! "J'adore leur flegme. Ce sont des animaux très curieux, très dociles." Elle n'aura dès lors de cesse que de travailler auprès d'elles.
Après des études d'ingénieur agronome en production animale et trois ans d'apprentissage, elle rejoint le projet HECTAR pour son audace et son ambition : montrer aux jeunes qu'un éleveur peut vivre bien.
La sérénité des bêtes est un indicateur de leurs rapports avec l'éleveur.
Composé en majorité de Normandes, nez busqué, robe bringé souvent zébrée, flegmatique et curieux le troupeau s'approche, entoure les deux femmes.
Des museaux furètent. "La sérénité des bêtes est un indicateur de leurs rapports avec l'éleveur. Bérénice a des relations incroyables avec elles, s'émerveille Julie, vétérinaire chargée du pilotage de la ferme. Le nez mutin, l'esprit très vif, chemisier rayé, de coupe et de repassage impeccables, Julie est un mélange de féminité et de force de caractère. Un trait nécessaire pour mener à bien un projet d'une telle envergure. "Allez, les nénettes ! Allez, là !" Le troupeau finit par se mettre en branle.
"Les vaches aiment que tout soit exactement pareil, explique Julie. Donc à l'ouverture d'une nouvelle parcelle, il y a toujours un petit moment de folie de l'une ou l'autre".
Le seul compagnon des dames, un taureau brun râblé de race Angus, a été choisi pour la qualité sa viande mais aussi pour ses dimensions. Leur croisement donne de petits veaux faciles à mettre au monde, précoces, s'adaptant parfaitement à la vie 100% plein air, en pâturage tournant dynamique, qui les attend.
Choisies pour leur fibre maternelle ou une production trop abondante pour l'unique traite quotidienne, des vaches nourricières prendront en charge les petits pendant quatre mois… avant de se réinvestir dans le yaourt.
La recette des yaourts a fait l'objet d'un long processus de recherche, réalisé avec le responsable culinaire de Transgourmet.
En contre-bas, dans l'écrin de prairies vert tendre, ourlé de celui, plus sombre, des forêts, trône la Laiterie des Godets.
HECTAR l'a ressuscitée 35 ans après sa fermeture, ramenant dans ses pâtures les vaches de race normande qui avaient fait ses beaux jours. L’édifice réunit bâtiment d'accueil, laiterie et salle de traite. Les prairies en sont les étables, et les ruminantes ne gagnent le corps de ferme qu'une fois par jour pour la seule traite quotidienne.
Un allègement des contraintes en cohérence avec l’équilibre de vie voulu par HECTAR. Le lait sera recueilli et filera dans la pièce voisine, la laiterie, pour finir sa route à l'état de yaourt. L'opération se sera déroulée sur quelques centaines de mètres, un circuit court en temps comme en parcours, de l'herbe au pis et du pis au pot... pour le meilleur et pour le pré, puisque les terres agricoles seront progressivement refertilisées par l'élevage.
7h. Camille, le fromager, va commencer ses opérations. Il est équipé de blanc de la casquette aux bottes, et jusqu'au masque gazeux qui lui dessine une barbe de père Noël juvénile sur la sienne, sombre.
La route est courte, qui mène à son laboratoire. Le lait n'a parcouru que quelques mètres pour se rendre de la salle de traite voisine au tank dans lequel Camille s'apprête à le travailler.
Il est d'une belle couleur ivoire, légèrement coloré par le bêta-carotène issu de l'herbe de ces grasses prairies. Après une pasteurisation très courte, le lait est baissé en température. Il reçoit alors les ferments, éveillés par un brassage de 20 minutes. Ils donneront au yaourt sa douceur et sa fermeté.
Tandis qu'elle tourne, la pâle diffuse une délicieuse odeur lactée fraîche, légère et gourmande.
Après avoir été goûté, le lait est mis en pots sur une plateforme tournante. Un petit tour : descend la purée de fruit bio des yaourts parfumés. Deux petits tours : le lait la rejoint. Trois petits tours : le pot reçoit son opercule. 4 petits tours : tampon de date... et puis ils s'en vont, éjectés sur le tapis roulant où ils sont saisis pour être mis en caisses, conduits en chambre chaude pendant 6h, puis rapidement refroidis pour bloquer la fermentation. Une méthode qui permet de garder une saveur légèrement sucrée et d'éviter la formation de petit lait.
Demain, ils seront prêts à manger. Camille, aidé de ses deux acolytes, Lamporn et Marie-Alice, versent, lavent contrôlent. Le jeune fromager est aussi drastique sur l'hygiène que chaleureux dans les rapports humains. Il a appris les secrets du métier à l'Ecole nationale de l'industrie laitière, tout en travaillant chez Berthaut, le nez dans l'Époisse, son fromage préféré.
Il y a découvert que rien, vraiment rien ne peut être laissé au hasard. Car si le processus semble simple, la recette des yaourts a fait l'objet d'un long processus de recherche, réalisé avec le responsable culinaire de Transgourmet. "C'est vraiment une démarche de cuisinier. Il est très simple de fabriquer un yaourt, mais très compliqué d'en obtenir un bon ! Notre première exigence est de ne pas dénaturer le lait en l'homogénéisant."
Le lait des vaches nourries à l'herbe, d'une grande qualité gustative et nutritive, permet l'obtention de yaourts à la texture onctueuse.
Le résultat ? Un nectar ! Camille en est très fier. Le lait des vaches nourries à l'herbe, d'une grande qualité gustative et nutritive, permet l'obtention de yaourts à la texture onctueuse, bien que peu gras. La première cuillère rencontre une fine couche de crème qui apporte en bouche une note beurrée.
Aussi gourmand qu'une crème dessert, sans acidité, d'une belle fermeté, il est produit nature ou parfumé d'une purée de fruits bio. La cerise subtile, que l'on croit croquer à chaque bouchée. La fraise qui lui donne des allures de crème dessert. Le citron, fermenté moins longtemps pour gagner en acidité et obtenir sa fraîcheur vivifiante. Et le préféré de Camille, la pêche, le plus gourmand, "le soleil qui se lève dans la bouche", comme il l'a entendu dire.
C'est un projet fantastique. Je suis libre de réaliser tout ce que je voulais, sans concession ! Construire un projet durable, innover, créer un beau produit fabriqué sur place... Je travaille la totalité de la filière : de la production du lait à la bouche du client. Et puis je vais être papa. Travailler ici, c'est la promesse de trouver des moyens de fonctionner de façon écologique, donc en accord avec le vivant !".
Pour permettre un équilibre de vie à chacun, l'équipe fromagère assure aussi son tour de rôle à la traite. Une nécessité de polyvalence, le gage de deux week-ends sur trois en repos, également un moyen d'interagir avec Bérénice sur la production de lait.
14h. Autour d’une flaque, une libellule bleue en courtise une jaune. Elles s’éloignent dans le ciel d’azur. Les fumerolles des nuages rappellent celles des brumes matinales. Munie de sa canne orangée, Bérénice part chercher les vaches pour la traite. La voix un peu grave, elle marche d'un bon pas, interpellant ses bêtes au loin. "Allez les filles, on y va !" Sifflements d'oiseaux, son concert est stimulant car les ruminantes se mettent en branle, ribambelle de robes blanches ou brunes tachetées de noir et brun.
La jeune éleveuse caresse le dos de la dernière vache. "Allez ma belle ! Allez Obama !" Embarquant le taureau dans ses rangs, la procession ondoie vers la salle de traite dans un agréable fumet lacté.
Dans la salle, les deux premiers quais de traite s'emplissent. Bérénice nettoie les mamelles, les stimule de ses longues mains hâlées, le geste précis, efficace. "Là, bébé, là !" Les vaches, garées en épi, pis offert, sont équipées de griffes dans un bruit de succion, puis de tétée.
Au bout d'un quart d'heure, lorsque le débit de lait baisse, les griffes libèrent les mamelles. Ces dames se retirent paisiblement pour laisser place aux suivantes. Leurs successeurs avancent sous les yeux du taureau, visiblement satisfait de ce bel ordonnancement.
Lorsque toutes ont effectué leur devoir quotidien, elles reprennent, sous l'affectueuse houlette de Bérénice, la route des pâturages.
La laiterie pilote des Godets s'inscrit au cœur d'un campus agricole de 600 hectares.
Leur occupation remplit un vertueux office, beaucoup plus global : contribuer à préparer les sols aux futures cultures biologiques. C'est l'un des nombreux objectifs de Julie Renoux, sollicitée pour créer l'élevage et travailler sur la conception du modèle.
Car la ferme des Godets n'est qu'une facette du projet d'HECTAR, qui modélisera à terme des ateliers agricoles, apicoles, d'élevage, de transformation laitière, de grandes cultures, de maraichage. Ces modèles conçus seront testés et documentés dans un souci de transmission. Un enjeu grave à l'heure où 160 000 domaines agricoles français disparaîtront peu à peu faute de repreneurs.
La laiterie pilote des Godets s'inscrit au cœur d'un campus agricole de 600 hectares proposant formation de jeunes agriculteurs, sensibilisation aux grands enjeux de l'alimentation, accélération de start up... le tout dans un immense souci de cohérence.
"L'élevage a été construit pour essayer de répondre au mieux à nos valeurs", explique Julie. Cela a des conséquences sur toute son organisation. Nous avons créé ce modèle d'élevage en partant du territoire dans lequel il se développerait". Choix du plein-air pour limiter les coûts de production ; race des vaches pour permettre une vie en extérieure toute l'année ; valorisation du lait et de la viande ; travail de prévention pour ne traiter les bêtes que si nécessaire ; remise en place de haies ; monotraite et polyvalence pour que la contrainte de traite soit assurée par tous en alternance...
Et au service de cet écosystème, les dernières avancées technologiques, qui permettent par une analyse régulière et approfondie des comportements des vaches et des sols, d'anticiper, équilibrer, réajuster... et de faire du temps un allié. Tout cela donne un projet durable, chargé de sens, et un produit naturellement biologique. Car l'agriculture, nous en avons tous besoin trois fois par jour, comme le rappelle souvent l'équipe d'HECTAR.
"Un bon partenariat, atteste Audrey, fondatrice du projet, c'est un partenariat avec des personnes qui partagent les mêmes valeurs de savoir-faire, de recherche de qualité, de transmission. Nous avons eu de la chance d’être accompagnés par Transgourmet, notamment par sa démarche Transgourmet Origine, qui est alignée sur nos valeurs".