LENTILLES BLONDES DE SAINT-FLOUR
5h30. Sous l’esquisse de lumière des aurores, nous goûtons le charme de la médiévale Saint-Flour. Arrivés la veille au soir, la belle ne nous avait pas encore dévoilé ses charmes. Au petit jour nous la découvrons altière, dressée sur ses remparts volcaniques, imprenable, majestueuse. La pierre basaltique de la région y est convertie en ruelles, en habitations, en cathédrale. Vestiges millénaires du prestigieux et religieux passé de la cité auvergnate.
« Par-delà ces murailles, regardez, les sommets ronds des volcans éteints sont devenus d’immenses pâturages. » Pour notre venue, Serge Ramadier, producteur de lentilles blondes, se fait le guide de sa ville natale. Les coulées de lave successives ont formé la Planèze, un vaste plateau très fertile situé à flanc du mont Cantal. Saint-Flour en est l’extrémité.
Depuis des siècles, la Planèze de Saint-Flour est le grenier de la Haute Auvergne. Il y pousse des céréales mais aussi et surtout des légumineuses, si friandes de ces terres basaltiques. Nous ne sommes qu’à quelques monts du pays des lentilles vertes, mais ici les lentilles du cru sont blondes. « C’était le légume sec le plus commun dans les cuisines de nos ancêtres jusqu’à son apogée au XXème siècle et puis un jour elle s’est complètement éteinte… »
Car en 1960, les agriculteurs de la région s’en détournent pour la production de lait et le secret de leur culture se perd peu à peu. « Seuls les anciens à l’époque se souvenaient de son goût puisqu’avant, tout le monde avait son petit terrain pour sa consommation personnelle.»
Depuis des siècles, la Planèze de Saint-Flour est le grenier de la Haute Auvergne. Il y pousse des céréales mais aussi et surtout des légumineuses, si friandes de ces terres basaltiques.
Enfant du pays, Serge n’a pourtant pas toujours été producteur. Peintre en bâtiment à l’origine, il n’a quasiment jamais exercé son métier. C’est la rencontre avec les parents agriculteurs de sa première femme qui l’en a dévié. Sur le terrain aux côtés de son beau-père, il prend goût à la qualité de vie et la liberté de ses nouvelles fonctions. Il reprend alors ses études pour un nouveau départ.
Lorsqu’il se met à son compte en 1986, la question ne se pose pas, il sera producteur de lait comme tout le monde autour de lui. Et puis peu à peu, les difficultés liées à la conjoncture se font sentir, la profession s’épuise, les villages alentours se vident.
En 1997, Pierre Jarlier, maire de Saint-Flour se prend à rêver d’un retour du légume sec sur ses terres ancestrales. L’entêté ratisse la cité en quête de la disparue et va même jusqu’à déposer une petite annonce dans le bulletin paroissial. Après avoir écumé les fonds de mémoires de la ville, c’est dans le grenier d’un petit fils d’agriculteur qu’il retrouve des reliquats de récolte de la belle endormie.
Accompagné de chercheurs et après moult essais, ils redonnent enfin vie à la précieuse lentille blonde. Reste à la développer ! Très peu y croient au départ. Mais le scepticisme des aînés ne leur donnera que plus envie de prouver l’impossible. En 2001, à trois, ils créent l’association des producteurs de lentilles blondes de Saint-Flour.
Accompagné de chercheurs et après moult essais, ils redonnent enfin vie à la précieuse lentille blonde.
Quinze ans plus tard ils sont près de quarante. « Tout le monde ne peut pas rentrer dans l’association comme il le souhaite, il faut être parrainé. Le seul critère de cooptation ? Partager la même philosophie et la motivation. « Faut bien comprendre que c’est avant tout une histoire d’amour cette lentille, ici pas de culture intensive, tout est produit le plus naturellement possible et à son rythme. C’est une aventure humaine que l’on vit ensemble. Grâce à elle, s’est formé un groupe de gens d’ici qui ne se seraient jamais croisés. Il y a toute sorte de profil, on compte même un professeur d’université dans nos rangs. »
Produire le plus naturellement possible, c’est le leitmotiv de chacun de ses agriculteurs. Dans les champs, Serge nous fait fièrement remarquer la diversité des insectes sur les pédoncules de ses lentilles. « C’est le signe d’un écosystème vivant. On n’utilise aucun intrant, pas d’herbicide ni fongicide ni pesticide. Les insectes jouent leur rôle de prédateurs naturels. »
L’agriculteur a labouré ses parcelles à l’automne, puis l’hiver venant les a laissées reposer. Aux beaux jours du printemps, il trompe les adventices avec un faux semis d’herbe. Cette première récolte en mars lui permet également de ratisser les petites pierres.
Le vrai semis a lieu deux à trois semaines plus tard, suivi du roulage pour aplanir le terrain. Etre en accord avec son environnement c’est utiliser l’eau de pluie pour préserver les ressources. « La lentille est forte pour rechercher l’eau profondément dans la terre et en plus elle est peu gourmande. Je préfère même les années peu pluvieuses. Tout pousse le plus naturellement du monde, nous ne sommes là que pour accompagner. »
En août, les lentilles blondes au goût de châtaigne sont récoltées mûres et sèches sur pied. « Normalement c’est risqué parce qu’elles sont plus fragiles et s’il y a de la pluie on risque de grosses pertes mais le vent nous aide, c’est l’effet de foehn. » Les cultures sèchent grâce au vent chaud qui, coincé entre le mont du Cantal à l’ouest et la Margeride à l’est, s’engouffre dans la Planèze et caresse les lentilles.
Produire le plus naturellement possible, c’est le leitmotiv de chacun de ses agriculteurs.
Au fil de nos échanges, la vision de Serge va nous troubler. C’est la première fois que l’ennemi numéro un des cultures n’est pas une obsession pour un producteur. « J’ai une autre parcelle, elle est actuellement recouverte de marguerites et autres mauvaises herbes, trop peut-être. J’ai été un poil trop laxiste cette saison. Mais bon, tant pis ce n’est pas grave, on n’est pas dans un combat avec la nature et je pense que ça ira malgré tout.
On s’en sort plutôt très bien avec notre lentille, elle commence à être utilisée par de nombreux grands chefs et même reconnue à l’étranger. » La valorisation du produit comme contre-pieds à l’intensif.
Serge y croit dur comme fer et le marché lui donne raison. En 2006 le mouvement Slow Food repère la lentille et en fait un produit « sentinelle » car elle répond aux trois critères de sélection qui sont le « bon », le « propre » pour l’environnement et le « juste » pour la rémunération de ses producteurs. L’aventure prend une toute nouvelle dimension. Ils sont dès lors amenés à voyager avec leurs lentilles, notamment pour le Salone del Gusto de Turin qui réunit des producteurs du monde entier.
« Tout d’un coup, pour certains c’est un double franchissement de frontières. De la France bien sûr. Mais pour certains d’entre nous, c’est même l’occasion de sortir pour la première fois de notre région. En plus on se retrouve sur le salon à parler à des agriculteurs péruviens, africains, tibétains, vous imaginez un peu les moments et les émotions que tout cela nous a apporté ? Et l’ouverture d’esprit aussi. » La lentille comme un œil sur le monde.
C’est la première fois que l’ennemi numéro un des cultures n’est pas une obsession pour un producteur.
Contrairement à la production de lait, la légumineuse donne de l’assurance à ses producteurs. Pris dans cet élan, ils décident en 2007 d’endosser jusqu’au rôle de commerciaux. « J’ai été poussé les portes avec mes lentilles sous le bras parce que j’étais sûr de sa qualité, de son histoire, de sa traçabilité ! Je ne suis plus le simple maillon d’une chaîne comme c’était le cas pour le lait. »
Les horizons s’ouvrent. Dans la région tout d’abord où les restaurants et familles la cuisinent comme à l’époque, mijotée avec de la viande de porc, de la charcuterie ou froide en salade. Puis elle a posé ses quartiers au Canada, à Brooklyn, en passant par la Suisse et la Belgique. « Elle devrait même prochainement atterrir au Japon car des grands chefs s’y intéressent. Notre implication est plus que morale.
Nous souhaitons en faire profiter la région tout entière. C’est aussi pour ça que les employés de l’ESAT* se chargent du tri et du conditionnement. Nous avons une préoccupation écologique mais également sociale. Avant ce travail nous le faisions nous à la main le soir à l’heure de l’apéro. C’est aussi comme ça que se sont soudés nos liens. Mais l’ESAT* est une solution plus efficace. Et surtout ça en fait un produit sain, humain, vertueux à tout niveau. Ça correspond totalement à notre philosophie. »
Serge et ses amis voient l’avenir sereinement, avec un regain de fierté paysanne. Les êtres ici, certainement plus marqués qu’ailleurs par la géologie, retrouvent de la superbe au travers de ce produit tellurique « Tout est encore à faire mais nous gagnons correctement notre vie tout en faisant un produit de qualité et en respectant notre belle région. C’est l’aventure de toute une vie cette lentille. »
Profil sensoriel de la lentille blonde de Saint-Flour
Douce et sucrée, un goût de noisette châtaigne, non farineuse.