LAIT ÉQUITABLE DE LA VALLÉE DE LA LOIRE ET DE SES AFFLUENTS
Cette nuit, deux vaches ont vêlé. Les veaux, vacillants sur leurs pattes, restent proches du ventre maternel, hier refuge, aujourd'hui garde-manger. Ils sont placés dans le box de vêlage, visible dès l'entrée dans l'étable. Valentin jette un œil... Ils vont bien !
Il est 5h40. Les trayeurs arrivent, se saluent amicalement, puis chacun gagne son poste. Dehors, il fait nuit noire. Les constellations brillent, particulièrement lumineuses sous ce ciel normand à Beaupréau en Mauges.
La traite est lancée. Stature haute, épaules carrées, sourire éclatant, Valentin oriente ses vaches vers l'aire d'attente. Il ne fait pas ses 26 ans, mais il codirige la ferme avec ses trois associés. Sa présence et sa voix suffisent à mettre les vaches en mouvement.
« Allez les filles, hop ! » Sifflement bref. « Voilà, tranquille ! » L'une d'elle se fait prier. « Elle a besoin qu'on s'occupe d'elle ! » Les bêtes gagnent en douceur l'aire d'attente qui mène au Roto, la plateforme de traite.
« Le pis, c'est le lien entre le lait et le consommateur. On n'y met aucun produit ! »
Ce grand manège vert avec un poste d'entrée, un de sortie, et se meut sur lui-même assez doucement pour que chaque bête entre d'elle-même et sorte à reculons une fois la traite achevée. Vincent est posté au début du Roto. Armé d'une lavette sèche, il nettoie le pis de la vache. « Le pis, c'est le lien entre le lait et le consommateur. On n'y met aucun produit ! »
Cette palpation lui permet de contrôler l'état de la mamelle et stimule les tétines, déclenchant l'ocytocine. En 45 secondes, cette hormone lance la lactation. Vincent branche alors la griffe "à la mexicaine", deux tétine à la fois, celles de l'avant, puis de l'arrière. Et la traite commence.
Vincent connaît chaque vache. « Celle-là, elle bouge toujours ! Celle-ci donnera 30 litres aujourd’hui. Et elle, elle est belle, hein ? » Et Valentin d’ajouter, dans un grand sourire : « Les animaux, il faut les aimer ! Autrement on ne fait pas ce métier. Parce que tous les jours il faut y aller. On ne peut pas avoir d’état d’âme ! ». Pendant que Vincent nettoie et équipe les bêtes, aidé par l'un ou l'autre, Éric, son cousin, nettoie les logettes et Elvira, salariée depuis deux ans, nourrit les veaux.
Après la traite matinale, chacune à son rythme, les vaches retournent aux logettes pour manger, boire, se coucher, en attendant la traite du soir. Elles vivent en stabulation libre. « Au printemps, explique Valentin, elles sortent toutes seules. Mais comme nous, quand il pleut ou fait trop chaud, elles préfèrent rester à l'intérieur. »
Vêtues de robes pie noire ou pie rouge, c’est-à-dire tachetées de noir ou de brun mêlés de blanc, les vaches sont en majorité de race Prim'Holstein, l'une des meilleures productrices.
Vêtues de robes pie noire ou pie rouge, c’est-à-dire tachetées de noir ou de brun mêlés de blanc, les vaches sont en majorité de race Prim'Holstein, l'une des meilleures productrices. La croupe très dessinée, voire osseuse, témoigne de leurs talents. « Une vache laitière doit être fine, explique Vincent. C'est comme pour un coureur de 100m et un marathonien. Ce qu'elle mange part dans le lait. Elle engraisse seulement pour vêler. »
Une douce odeur d'herbe sèche et houblonnée s'épand dans la bâtisse. « Vous sentez ? C'est l'arrivée des rations. Ça les stimule ! » Ces dames accélèrent en effet le pas vers les logettes où leur nourriture a été répandue par Fabrice, le quatrième associé.
Ces efforts permettent l'obtention d'un lait bien blanc, savoureux sans être trop gras, aux vertus bénéfiques, dont les producteurs sont les premiers amateurs.
Les quatre patrons se répartissent les responsabilités : deux s'occupent des vaches, les deux autres des cultures qui serviront à les nourrir. « C'est ce qui fait notre force, explique Valentin. Nous savons tout faire, mais chacun approfondit son domaine. » Oncle, neveu, cousin, ils sont tous issus de la même famille et couvrent presque trois générations. Le doyen, Eric, 60 ans, se consacre au soin des bêtes avec son cousin Vincent, 54 ans, qui a toujours vécu sur la ferme.
Amoureux des vaches, ce dernier se plaît à transmettre son savoir à leur salariée et aux deux jeunes apprenties. Une complémentarité dans la complicité. Car il faut traire les bêtes, mais aussi les soigner, nourrir les veaux, repérer les chaleurs, inséminer les génisses.
Soucieux de réduire l'empreinte carbone de l'exploitation, de donner aux bêtes une alimentation de qualité et de préserver les sols, Valentin et Fabrice appliquent la technique agro-écologique du couvert multi-espèces.
Dans un champ voisin de l'étable, les génisses amouillantes, qui attendent un veau, sont encore au pâturage malgré le climat automnal. « Des vaches dehors, il n'y a rien de mieux ! Elles se sentent bien, à l'air libre, et ça les coupe dans leur carrière de productrices. » Pour savoir si la parcelle doit accueillir les bêtes ou s'il faut les en retirer, Valentin a trouvé un système d'une parfaite modernité.
Posant, de ses mains déjà rudes, insensibles à la fraîcheur du matin, son téléphone sur la tranche : « Si l'herbe n'est pas plus haute que lui, c'est qu'il faut enlever la bête de la parcelle. Si l'herbe atteint le téléphone placé en hauteur, il faut y mettre la vache. Mais il ne faut pas avoir de trop grands téléphones », ajoute-t-il en riant.
D'autres champs lui servent aux cultures. Soucieux de réduire l'empreinte carbone de l'exploitation, de donner aux bêtes une alimentation de qualité et de préserver les sols, Valentin et Fabrice appliquent la technique agro-écologique du couvert multi-espèces. Ils sèment des plantes variées. À l'heure des plantations, une machine les écrase.
Les agriculteurs sèment par-dessus moutarde, tournesol, colza... Le sol des cultures n'est jamais mis à nu, la terre jamais retournée. La biodiversité est entretenue, la terre plus fertile, la qualité de l'eau améliorée, les fongicides limités car grâce au sol, la plante se défend elle-même. Leurs cultures nourrissent les vaches, ils les veulent les plus naturelles possible.
« Si demain on veut laisser quelque chose de bien à nos enfants, il faut changer nos façons de cultiver. Quand on laboure, on bouleverse le sol. On casse tout ! » La passion luit, dans les grands yeux francs. La fierté d'un beau travail, aussi.
Sur la ferme, un but les unit tous : vivre dans l'équilibre. Cela passe la préservation de temps pour chacun, mais aussi le respect de la nature.
À 8 heures, tout est fini. Chacun peut rentrer chez lui prendre le petit-déjeuner en famille, ou rester sur place pour avancer son travail. Grâce à une répartition des tâches par appétence, les quatre associés ont su s’organiser pour garder pour eux, leur salariée et les deux apprenties le temps de vivre. Leur équilibre, ils le doivent aussi à leur souci de vendre leur lait de qualité à un tarif raisonnable, "équitable", qui leur permet de se rémunérer correctement.
« Si j’ai fait ce métier, ça n’est pas pour être prisonnier, conclue Valentin. On travaille un week-end sur trois, chacun a le temps de profiter de la vie et de sa famille. »
Sur la ferme, un but les unit tous : vivre dans l'équilibre. Cela passe la préservation de temps pour chacun, mais aussi le respect de la nature, garant de la santé des bêtes et de la qualité du lait. Le souci des bêtes, de la terre, et celui des hommes. Toute une philosophie de vie.