HUÎTRES FINES DE CLAIRES IGP DE MARENNES-OLÉRON
« Le plus chanceux chez nous, c’est celui qui, le premier, arrive à la cabane. Au lever du jour, quand il surprend les lapins dans les phares de sa voiture, les ragondins en train de nettoyer leurs petits, quand les aigrettes, les cygnes et les cigognes s’envolent sur son passage. C’est lui qui profite le plus de la vie du marais. » Le marais dont nous parle Amélie, c’est le marais charentais des bords de la Seudre. Et la cabane, c’est la ferme ostréicole de la famille Brouhard, au lieu-dit le Grand Jas, au Gua, en Charente-Maritime.
On y accède par un petit chemin qui serpente au milieu des mares, coin privilégié des chasseurs qui y ont construit des tonnes pour guetter le canard sauvage. « Ici, nous n’avons aucun voisin, pas de route, pas de voiture qui passe. On est dans la nature, au bord de l’eau. On a la chance d’avoir un cadre de travail exceptionnel. »
Ce matin-là, lorsque nous arrivons à la cabane avec Amélie, son compagnon Nathanaël nous précède de peu. Il vérifie les huîtres qu’il a ramenées la veille et qui doivent être préparées pour l’expédition. A l’horizon, le soleil se lève doucement sur un ciel bien dégagé en ce début de printemps. Sa lumière inonde le paysage.
Au pied de la cabane, son artère vitale : le chenal de Pélard. C’est par ce chenal, que l’on rejoint la Seudre, un fleuve côtier qui se jette dans le Bassin de Marennes, face à l’île d’Oléron, dans la réserve naturelle de Moëze-Oléron. « La connaissance de ces différentes zones est indispensable pour pouvoir travailler avec nous », explique Nathanaël. En effet, l’huître que produit la famille Brouhard est très particulière. C’est une huître Marennes d’Oléron, fine de claire IGP. C’est d’ailleurs la seule huître française à bénéficier de cette Indication Géographique Protégée.
C’est d’ailleurs la seule huître française à bénéficier de cette Indication Géographique Protégée.
Au cours de sa vie, 3 à 4 années, cette huître va connaître plusieurs ‘maisons’, mais toujours dans cette zone de Marennes d’Oléron. Et pour nous expliquer tout ça dans le détail, Amélie nous oriente vers Denis Brouhard, le père de Nathanaël : « Denis, c’est notre encyclopédie de l’ostréiculture, c’est lui qui m’a tout appris. » Alors avant qu’il ne parte pour la marée, nous prenons le temps de discuter un peu avec Denis. Lui-même avait déjà appris le métier auprès de son père, Albert, le premier dans la famille à s’être lancé dans la production d’huîtres.
Denis a, par la suite, développé la vente. « J’ai pris ma valise et fait le tour de France des poissonniers et écaillers. J’aimais bien ce contact avec le client. » Aujourd’hui, il a passé le relais à Amélie pour la partie commerciale, lui s’est recentré sur ce qu’il préfère : la marée, les parcs en mer. Il a 65 ans, l’âge d’être à la retraite depuis longtemps, mais il continue à « partir à la marée » tous les jours, quelle que soit la météo. La marée, c’est elle qui règle et rythme la vie des huîtres et des hommes.
Avec ses cycles et ses heures de pleine et basse mer. « Nous, on y est complètement adaptés, mais notre entourage aussi. Nos amis par exemple, savent qu’il ne faut pas organiser des fêtes pendant les grandes marées et que nous ne sommes disponibles qu’un week-end sur deux », explique Denis. Parce que, oui, c’est loin d’être reposant le métier d’ostréiculteur. Ce mollusque requiert une attention et des soins réguliers tout au long de son élevage.
L’huître se reproduit naturellement, au mois de juillet généralement, dans les estuaires de la Seudre et de la Charente où le mélange d’eau douce et salée est parfaitement équilibré et où la température de l’eau est idéale. Les larves se fixent alors sur les coupelles installées par les ostréiculteurs qui captent ainsi les naissains. Dans le temps, on utilisait même des pieux d’ardoise.
Ce mollusque requiert une attention et des soins réguliers tout au long de son élevage.
Après huit mois, Denis et Nathanaël viennent récolter les naissains, ils les ramènent à la cabane pour le détroquage : on décolle les huîtres des coupelles et les coquillages les uns des autres. Les huîtres sont alors grosses comme un ongle. Elles sont ensuite mises en poches et déposées dans l’un des parcs à huîtres de la famille en mer, dans le Bassin de Marennes d’Oléron. Ainsi arrimées, elles grandissent au fil des marées et des courants. Elles captent les nutriments dont elles ont besoin pour pousser.
Tous les mois, Denis et Nathanaël viennent retourner les poches, aidés d’un employé. Les parcs, c’est vraiment le domaine de Denis : « Moi j’aime aller dans les parcs, j’aime prendre le large, plus il y a du vent, plus je suis heureux, je suis un vieux loup de mer. »
Pendant deux ans, les huîtres vont donc grandir comme ça, doucement, bercées par les marées et les retournements de poches. « Il faut les retourner régulièrement, au moins une fois par mois, pour que les huîtres se forment bien, sinon, elles pousseraient tout en longueur, comme des asperges. On les retourne plus en été qu’en hiver aussi parce que c’est à ce moment-là qu’elles poussent le plus vite », explique Denis.
Une fois par an, elles repassent par la cabane pour changer de poches, pour avoir plus d’espace et un maillage plus large pour continuer à se développer. Au bout de trois ans, elles sont grattées et calibrées par les mains rapides et expertes des femmes qui travaillent à la cabane. Et pour les coquillages arrivés à maturité, vient alors la dernière étape : l’affinage en claires. Et là c’est Nathanaël qui prend le relais du récit parce que c’est son domaine. « Mon père c’est les parcs, le large, la marée. Moi, j’adore le travail de finition, le fignolage, et j’aime ce paysage des claires d’affinage. C’est vraiment typique de Marennes, ces bassins façonnés par la main de l’homme à l’origine.
Bon, aujourd’hui, on utilise des tracteurs mais je revois encore mon père ici avec sa brouette », dit-il en progressant à travers cette succession de bassins peu profonds alimentés en un mélange d’eau douce et salée par tout un système de canaux, de portes et de dérases. « Nous avons trois lieux différents pour nos claires et là aussi, comme pour les parcs en mer, il faut s’y retrouver et il faut du temps pour tous les connaître. » Et heureusement que Nathanaël est là pour nous guider dans ce dédale que sont les claires. Un dédale de terre et de mer à mi-chemin entre la terre et la mer justement.
Au bout de trois ans, elles sont grattées et calibrées par les mains rapides et expertes des femmes qui travaillent à la cabane.
Comme une mosaïque, chaque bassin a sa propre couleur, son propre reflet et l’ensemble forme un tableau admirable. Et c’est au cœur de ce tableau que ce cache le trésor de l’huître de Nathanaël et de sa famille : la navicule bleue. Une algue qui se développe naturellement dans les claires et qui produit la marennine, un pigment bleu-vert aux propriétés antibactériennes. L’huître, en filtrant l’eau de la claire, pigmente à son tour ses branchies qui se teintent alors d’une fabuleuse couleur émeraude. Une teinte extraordinaire, aux reflets moirés, dont seule la nature a le secret.
Une spécificité protégée par un Label Rouge et une appellation spécifique ‘fine de claire verte IGP Label Rouge’. Mais pour trouver cette navicule et avoir une chance de fixer la marennine, il faut toute l’expérience et l’œil avisé de Nathanaël : « La navicule bleue se développe de manière aléatoire, dans une claire ou une autre, en fonction des variations de température et de la salinité de l’eau, elle a un cycle de 8 jours à un mois… En période d’affinage, je passe tous les deux jours pour vérifier la présence de l’algue dans les claires. Vous voyez, là, ce léger dépôt vert bleu sur le fond limoneux de la claire ? C’est ça la navicule. Ce n’est pas évident à voir pour tout le monde. »
En effet, on distingue un léger voile qui trouble le fond de l’eau. « Une fois qu’on a repéré la présence de la navicule bleue, on plonge les huîtres, pré calibrées et déposées sur des plateaux, au fond de la claire. On les y laisse le temps qu’il faut pour qu’elles verdissent. Au minimum 28 jours entre novembre et mars. Parfois il faut les changer de claires à plusieurs reprises. Mais dans tous les cas, c’est bien cette terre argileuse et vaseuse qui fait que ça verdit. C’est la spécificité de ce terroir. »
Et si cette couleur émeraude est si belle à voir, ce n’est pas particulièrement elle qui donne son goût à la fine de claire verte, non, c’est son affinage en claire. Elle apporte une note de douceur et de noisette, moins iodée que l’huître de mer. Sa chair est d’abord croquante puis moelleuse. Son goût d’une finesse incomparable et long en bouche. Cette huître exceptionnelle est commercialisée d’octobre à mai pour respecter son cycle de reproduction, ce qui la garantit non laiteuse.
Et si cette couleur émeraude est si belle à voir, ce n’est pas particulièrement elle qui donne son goût à la fine de claire verte, non, c’est son affinage en claire. Elle apporte une note de douceur et de noisette, moins iodée que l’huître de mer.
Là, c’est Amélie qui renchérit : « Il y a une saisonnalité pour tout. Pour les huîtres, il y a un cycle précis, des opérations à faire dans le bon ordre. Il faut suivre et respecter la nature et faire les choses dans le sens de ce qu’elle nous donne. » Elle, qui vient du milieu de la restauration, est tombée amoureuse d’un ostréiculteur. Lors de sa première visite à la cabane avec Nathanaël, elle a découvert tout un monde qui lui était jusque-là inconnu. « Je me suis dit : ‘Je suis là maintenant, alors autant que je m’intéresse à notre produit et à ce métier. J’ai appris au fur et à mesure au contact de Nathanaël et de Denis et j’y ai pris goût. Je m’occupe plutôt du côté commercial, moins de la technique ostréicole mais j’en apprends un peu plus chaque jour. »
Denis confirme : « Avec Amélie, ça se passe bien, ça s’est fait naturellement. Je l’ai accompagnée pendant un ou deux ans, maintenant elle se débrouille très bien sans moi. Et puis c’est satisfaisant de transmettre ses connaissances et son entreprise. On se dit qu’on n’a pas fait tout ça pour rien, qu’il y a une suite et ça, ça me fait plaisir. »
Amélie nous le confiera par la suite en tête à tête : « Vous savez, ça semble naturel pour eux, mais Denis, Nathanaël, comme tous les hommes qui travaillent sur l’exploitation, ils ont développé une force physique incroyable. Il faut les voir charger le chaland et soulever au-dessus des épaules des poches pleines d’eau et d’huitres, sur des appuis instables… C’est très dur comme boulot… Mais c’est comme ça, on est des paysans de la mer. Vous savez, nous avons une petite fille, Lila, elle a trois ans. Moi, je n’espère pas qu’elle soit ostréicultrice plus tard, mais si ça lui plaît, on ne pourra pas l’en empêcher. Je trouve que c’est trop dur comme métier…
Même si les femmes ont toujours beaucoup aidé les hommes. » En témoigne Chantal, l’épouse de Denis, qui était esthéticienne avant de venir travailler à son tour à la cabane, tous les jours, au tri, avec les femmes, dans une bonne ambiance. Et là aussi il faut de l’expérience pour trier à l’œil et à la main les huîtres de différents calibres. Ce sont les femmes qui préparent les huîtres pour l’expédition.
L’achèvement d’un cycle de croissance de 3 ou 4 ans pour l’huître, et, pour toute la famille, la satisfaction et la fierté de livrer un beau produit. Nathanaël de préciser : « Je suis fier de l’huître que je vends. Il faut qu’on continue de développer des produits d’exception comme cette fine de claire verte, c’est ce qui fait notre différence et notre marque de fabrique. » Un produit d’exception que leur offre la nature et que l’homme récolte. La moisson de la mer et du marais.