ABONDANCE AOP RÉSERVE DE FILLINGES
Ce matin, c'est Jérôme Gal, fromager, qui nous sert de guide. Il nous emmène à la rencontre de l'un de ses producteurs de lait. L'homme est grand, élancé et a un doux sourire, il nous accueille chaleureusement dans la cour de sa ferme. Une bâtisse traditionnelle savoyarde, imposante, qui rassemble au rez-de chaussée, les étables et la maison et à l'étage, bardé de bois : le séchoir et le fenil.
Ici, rien ne semble avoir bougé depuis des décennies. Ainsi, ce lavoir en pierre orné de sa belle glycine, ce banc adossé à la façade qui a du en voir passer du monde… Il est à l'abri de ce large débord de toit typique des fermes de Haute-Savoie qui révèle toute son utilité en hiver pour protéger de la neige.
Au fond de la vallée, les nappes de brouillard plongent le bourg voisin dans le coton. Nous sommes sur les hauteurs d'Evires, à la naissance du plateau des Bornes, au cœur de la zone d'Appellation d'Origine Protégée de l'Abondance. Fromage pour lequel l'éleveur produit son lait. C'est d'ailleurs l'heure de la traite, 6h du matin. Il descend chercher son troupeau d'abondances qui paissent en extérieur nuit et jour pendant toute la belle saison.
Les vaches, des abondances donc, la race du pays, réputée pour son bon pied, sont nourries à l'herbe du pré pendant 7 mois de l'année.
Une soixantaine de vaches et de génisses qui naissent et sont élevées sur la ferme. Ces gracieuses abondances à la robe ambrée tâchetée de blanc brandissent fièrement leurs cornes quand l'éleveur les rassemble, secondé par sa fille et aidé de son berger de Savoie. La chienne fait en sorte que ces belles ne trainent pas, jappant à leurs flancs.
Les vaches rentrent à l'étable, plus besoin de les guider, chacune se rend à sa place habituelle. L'éleveur a pour toutes un regard, un petit mot, mais il y en a une qui a droit à une caresse plus appuyée encore, c'est la doyenne, sa préférée. Et si les vaches ont des numéros, c'est bien par leurs noms que l'éleveur et sa fille les appellent. Les vaches, des abondances donc, la race du pays, réputée pour son bon pied, sont nourries à l'herbe du pré pendant 7 mois de l'année. Pendant l'hiver, c'est au foin, et aux céréales sans OGM, orge maïs et tournesol, qu'elles sont nourries.
Sur son exploitation, l'éleveur produit aussi du fourrage, du foin et de la paille qu'il récolte lui-même et sèche sur place avant de les stocker dans le grenier à l'étage. « J'ai voulu rester dans un système traditionnel, avec une petite exploitation, à taille humaine car je pense que c'est la bonne taille pour s'épanouir. Je fais tout, je suis polyvalent. Et dans le même temps, je m'organise comme je veux, j'ai une certaine liberté. Mon seul patron, c'est la météo. »
Et quand il évoque les contraintes du métier, la passion finit toujours par reprendre le dessus : « J'ai toujours voulu faire ce métier. Pas comme les anciennes générations où vous aviez des jeunes obligés de rester sur l'exploitation familiale, moi, ma génération, on a eu le choix.
Et j'ai choisi. Un peu comme un prêtre, je dirais que c'est une vocation. » Et d'ajouter : « Quand j'arrive à faire partager mon métier, ma passion aux gens, ça me rend fier, ça valorise mon travail. » Nous les quittons, le cœur réchauffé par cette belle rencontre de passionnés. Pour nous, il est temps de partir pour la fromagerie, 8 km plus loin, à Groisy.
Avec ses 40 cm de diamètre et ses 10 cm de haut, une meule d'abondance de Groisy pèse environ 10kg.
Nous arrivons à la fruitière de Groisy, une coopérative, propriété des éleveurs et producteurs de lait qui produit 500 tonnes de fromage par an. Nous sommes ici dans le domaine de Jérôme Gal, un jeune homme discret, au regard doux. Mais, dès qu'il entre dans la partie fabrication, il affiche une assurance et une concentration qu'on ne lui avait pas encore remarqué. « Ici, nous travaillons une matière première de qualité. On sait d'où vient notre lait et nous nous devons de faire un bon travail avec ».
Lui qui avait commencé sa vie professionnelle dans le bâtiment, a enfin trouvé son bonheur dans la fromagerie. « Dans le BTP, il faut aller vite, faire un peu au pif. Mais ça ne me convenait pas. C'est quand je suis arrivé dans une fromagerie que je me suis senti à l'aise. Ici, prendre le temps de bien faire les choses n'est pas considéré comme une tare. Le travail d'un fromager, c'est carré, il y a des critères précis à respecter. Chaque détail dans le processus de fabrication compte. Car chaque détail aura une conséquence sur le fromage final. »
Il s'est formé sur le tas, puis a complété ses acquis par une formation à l'ENILV. Et c'est avec le temps qu'il a acquis un œil, un ressenti, une expérience de ce produit vivant qu'est le fromage. Une fois que le lait et les ferments ont été chauffés à 32° puis que l'on y a rajouté la présure, vient la phase essentielle du décaillage. Le lait s'est figé sous forme de gel et il doit être découpé à l'aide de grandes lames qui tournent dans la cuve en cuivre. « Avec l'expérience on arrive à sentir le bon grain du caillé, c'est pour cela que l'on a gardé cette étape manuelle. »
Rien de tel en effet que le coup d'œil et le toucher de l'homme pour stopper les couteaux au bon moment. Viennent ensuite différentes phases de chauffe par pallier, de brassage, de sous-tirage, de découpage, et enfin de mise en moule et de pressage. La meule commence ainsi à prend forme. Avec ses 40 cm de diamètre et ses 10 cm de haut, une meule d'abondance de Groisy pèse environ 10kg. Commence alors une autre phase très délicate : l'affinage. « Pour faire vieillir un fromage, c'est comme pour un vin, il faut y apporter des soins » explique Jérôme.« Nos meules d'Abondance on les frotte à l'eau salée tous les jours les deux premières semaines, puis on les affine 100 jours minimum, en moyenne 6 mois. »
Ce fromage d'exception au lait cru est une pâte pressée mi cuite qui se doit d'être massive, avec un minimum d'ouvertures, d'une couleur jaune orangée avec une croûte ambrée. Sa pâte souple, fondante et fraîche au goût fruité avec de subtils arômes de noisette, voire d'agrumes, est héritée d'une recette ancestrale, qui aurait été élaborée en premier lieu par des moines dans l'abbaye d'Abondance. La recette s'est ensuite transmise aux fermiers de la vallée où ils descendaient vendre leur fromage. Le transport des lourdes meules se faisait à dos d'homme avec une sangle glissée autour du fromage. C'est de cette tradition que l'Abondance a hérité son bord concave.
Et si ce fromage a un peu vécu dans l'ombre de son cousin Beaufort pendant des années, depuis son classement en Appellation d'Origine Protégée en 1990, c'est à une renaissance que l'on assiste. En délimitant une zone géographique précise et en fixant des règles de production de l'élevage des animaux à l'affinage du fromage, l'AOP a donné ses lettres de noblesse à ce grand fromage. « L'Abondance est le fruit d'une histoire et d'un territoire » explique Jérôme Gal, le fromager. « L'Abondance de Groisy n'a rien d'un fromage standard, c'est un fromage de qualité, au goût racé, qui est le fruit du travail de personnes impliquées dans leurs métiers. Je suis satisfait de participer à la fabrication de ce produit noble. »